Le sort de l’équipage
Pour une bonne compréhension, reprenons, le nom, le grade et la fonction des dix hommes qui constituaient l’équipage de ce B24.
Il eut été injuste de ne pas réserver un chapitre aux neuf jeunes soldats qui, avec le lieutenant Addy, formaient l’équipage du B24 ainsi qu’aux villageois qui, au péril de leur vie, les recueillirent, les cachèrent et les soignèrent comme s’ils étaient des leurs.
L’avion était en perdition dans la région située entre Ath et Lessines au moment où l’équipage se résolut à quitter l’appareil. Sous les pieds de ces jeunes soldats, s’étendait un habitat dispersé constitué de petites fermettes qui formaient d’agréables villages agricoles bien paisibles : Isières, Rebaix, Ostiches, Papignies, Wannebecq, Ogy, Wodecq, La Hamaide, …. L’Occupant n’y était guère présent car ces lieux étaient dépourvus de points stratégiques, donc peu dangereux à leurs yeux.
Forcés de remettre leur sort entre les mains de Dame la chance, les neuf soldats n’eurent pas à le regretter car, si la plupart d’entre eux durent affronter bien des aventures avant la fin des hostilités, ils purent tous regagner leur pays, les Etats-Unis d’Amérique. Et l’aventure qu’ils avaient vécue constitua un lien puissant que les années ne purent distendre.
Trois d’entre eux : Charles Pendray, Irving Norris et Robert Mathie eurent la malchance d’atterrir auprès de la seule casemate allemande située aux abords de la route N 529 reliant Lessines à Frasnes-lez-Anvaing. Elle est toujours là au milieu d’un champ à quelques encablures du château d’eau de Lessines. Ils furent aussitôt désarmés par la sentinelle et privés de liberté. Pour eux, la guerre était finie. Direction l’Allemagne et ses camps de prisonniers.
Les six autres soldats connurent des aventures aussi diverses que mouvementées. Ils touchèrent également terre non loin de là, au milieu des champs bordés de haies et de bosquets. A cette heure matinale (+/- 9h), ils furent bien vite recueillis par les habitants occupés aux travaux des champs et qui n’écoutèrent que leur cœur alors que le geste qu’ils posaient aurait pu leur réserver bien des ennuis. En effet, des mouvements avaient été observés parmi les troupes d’occupation. Des véhicules militaires patrouillaient un peu partout. Un avion était tombé; certains de ses occupants étaient forcément dans la nature. Ordre avait donc été donné de les rechercher.
Quatre d'entre eux restèrent cachés jusqu’au moment où ils purent rejoindre les troupes alliées dans la région de Bruxelles, mais ils durent se soumettre à une enquête à la suite de laquelle un rapport d'évasion fut rédigé et archivé. Il s'agit de F. McPherson, D. Hooth, R. Wright et C. Bomar.
A la lecture de ces rapports, on constate qu'il existait un véritable réseau d'évasion organisé par la Résistance. Les soldats changeaient souvent de cache, passaient d'une famille à une autre en se déplaçant généralement la nuit, escortés par des Résistants ou des sympathisants. On ne peut donc pas reprocher à ces braves militaires étrangers quelques imprécisions quand ils décrivent les itinéraires suivis, les localités traversées et le nom des familles d'accueil. N'oublions pas un écueil supplémentaire : la langue française qu'ils ne maitrisaient pas du tout.
Franck McPherson (Document E-E1864) avait également atterri près du poste d’observation cité plus haut. Blessé aux jambes, il se traina dans un champ où il resta caché toute la journée, ce qui lui valut d’échapper aux recherches. La nuit suivante, il fut pris en charge par un groupe de Résistants qui le cachèrent en plusieurs sites de Mainvault et d'Ostiches avant de lui trouver une cache définitive chez madame Wattiez-Liétard à Rebaix. Quand les troupes britanniques furent arrivées à Bruxelles, il les rejoignit en compagnie du lt Hooth.
Douglas Hooth (Document E-E1863) toucha terre aux environs d'Ogy. Il était en compagnie de W. Cupp et de R. Donahue. Il séjourna chez les Boucher, ensuite chez Emile Deltenre à Wannebecq. Il resta chez ce dernier jusqu'au début septembre, au moment où les troupes britanniques arrivèrent dans la région.
Richard Wright (Document E-E2030) fut pris en charge par une cellule de Résistants et acheminé chez les Franche à Ostiches. De là, il partit chez Jean Carlier à Mainvault, pour finir chez les Hubin, des fermiers du Grand-Monchaut, un hameau de La Hamaide. Après y être resté plusieurs semaines, il risqua de se rendre à Bruxelles où il prit contact avec les forces américaines.
Casey Bomar (Document E-E1593) dit avoir touché terre à Ogy où il troqua ses vêtements militaires pour des vêtements civils. Il passa de village en village pour arriver finalement chez Henri Keldermans à Isières. Porteur d'une fausse carte d'identité mentionnant qu'il était voyageur de commerce muni d'un passeport suédois estampillé à Tournai (!), il fut dénoncé aux Allemands, envoyé à la prison de Saint-Gilles et embarqué dans le "Train fantôme" dont il put s'échapper le 3 septembre comme la majorité des prisonniers qui s'y trouvaient. Une aventure qui mériterait, à elle seule, tout un chapitre.
Les deux derniers, W. Cupp et R. Donahue, prirent la direction de la France, espérant rejoindre les troupes alliées dans les environs de Beauvais. Mal leur en prit car ils y furent faits prisonniers et envoyés dans les camps nazis jusqu'à la libération de ceux-ci. Avant cela, voici ce qui leur arriva.
Ils avaient touché terre aux environs d’Ogy où ils reçurent aide et assistance auprès de Lucien Guerlus. Pris en charge par des personnes de confiance, ils furent bien vite mis en sûreté.
C'est ainsi que William Cupp fut accueilli à Oeudeghien, dans la ferme de René et Marie Hombeek-Delaunoy. Leur fille Eliane s’est éteinte en 2021 au home L’Automne ensoleillé à Ellezelles.
Quant à Robert Donahue, il avait été dirigé vers Ostiches où il fut caché dans la ferme du Chamberlan tenue par Raoul et Rosa Ponchaut qui lui réservèrent un accueil aussi chaleureux que généreux. N'étant pas loin, Willam Cupp l’y rejoignit pendant quelques jours à la suite desquels les deux compagnons retournèrent à Oeudeghien chez les Hombeek.
Voyant que ceux-ci commençaient à s’inquiéter de leur présence, ils jugèrent sage et opportun de les quitter discrètement, ce qu'ils firent dans les premiers jours de juillet. La radio annonçait que les Alliés avançaient vers Paris; ils estimaient pouvoir les rejoindre dans la région de Beauvais. Hélas, leur projet ne put se réaliser et, après quelques aventures pareilles à celles qu’ils connurent en Belgique, ils furent faits prisonniers et envoyés en Allemagne.
La dépouille du lieutenant Floyd ADDY fut emmenée par les Allemands. Enveloppé dans un drapeau américain, il fut enterré dans le cimetière militaire de Chièvres. Après les hostilités, son corps fut rendu aux Alliés; il repose désormais auprès de 8.300 compatriotes au cimetière militaire de Margraten aux Pays-Bas.
Tous ces braves villageois qui ont accueilli et caché ces 9 soldats, s’ils avaient secouru des Juifs, auraient pu prétendre entrer dans la grande famille des Justes pour avoir mis leur vie en danger dans le seul but de sauver des enfants d’Israël. Mais pour eux, à part les manifestations d’hommage de l’AFEES - une fondation américaine - à l’égard de quelques-uns d’entre eux, guère de discours et une timide reconnaissance officielle de la part de leurs autorités.
Aussitôt la guerre finie, estimant que ce qu’ils avaient fait n’avait rien d’exceptionnel, la plupart de ces villageois retombèrent dans un anonymat dont ils ne sortirent plus qu’en de rares occasions. Nous ne pouvons que le regretter. Ils font songer au Consul Cincinnatus, un modèle de vertu et d’humilité, qui, le lendemain d’une victoire à la tête de légionnaires romains, retourna cultiver ses champs. Disons cependant, qu’à titre privé, quelques-uns tissèrent, jusqu’à leur mort, de profonds liens d’amitié avec les soldats qu’ils avaient aidés. C’est notamment le cas pour Michelle François d’Oeudeghien et Odette Fievet-Ponchaut de Houtaing qui gardent des liens profonds avec la famille de William Cupp.